1. Définition
La matérialité correspond à l’importance qu’une erreur ou une omission, individuellement ou collectivement, (fraude ou erreur involontaire) peut avoir sur les décisions économiques des utilisateurs des comptes annuels.
En clair : si l’erreur peut changer l’avis ou les choix d’un investisseur, d’un créancier ou d’un autre utilisateur, elle est significative.
2. Application en audit
En audit, on fixe la matérialité à deux niveaux :
- OM – Overall Materiality (ISA 320.10) : seuil global pour l’ensemble des comptes annuels.
- PM – Performance Materiality (= matérialité d’exécution) : seuil plus bas utilisé pour réduire le risque que les erreurs non détectées dépassent l’OM (au niveau de chaque compte individuel ou solde indivisuel) .
On fixe aussi :
- Matérialité spécifique : seuil réduit pour certains postes sensibles (même si l’erreur est petite, elle peut influencer les décisions).
- SAD – Seuil des anomalies négligeables : montant en dessous duquel une erreur est jugée clairement insignifiante et non cumulée.
3. Ce qui rend une erreur “matérielle”
La matérialité dépend de la taille et/ou la nature de l’erreur. Elle n’a pas de valeur universelle : elle varie selon l’entreprise, son contexte et ses utilisateurs.
Facteurs à considérer :
- Impact sur les tendances financières (ex. transformer une perte en bénéfice).
- Effets sur les indicateurs clés (bénéfice par action, chiffre d’affaires d’un secteur stratégique…).
- Respect ou non des contrats, lois, ou réglementations.
- Influence sur la rémunération de la direction (primes, bonus).
- Sensibilité particulière (fraude, illégalités, conflits d’intérêt).
- Erreurs de classification (ex. confondre charges courantes et exceptionnelles).
- Coût de la correction vs. bénéfice de l’information fournie.
4. Rôle de la matérialité dans l’audit
Elle sert tout au long de l’audit :
- Planifier les tests et procédures.
- Identifier les zones à risque.
- Déterminer la quantité et le type de preuves à collecter.
- Évaluer si les erreurs détectées sont significatives.
- Formuler notre opinion finale (réserve si anomalies significatives non corrigées).
5. Fixer la matérialité des comptes annuels (OM)
C’est un jugement professionnel : on part d’une base de calcul (référence) puis on applique un pourcentage.
Les références possibles [et les fourchettes suggérées] :
- Bénéfice avant impôt (souvent la plus utilisée, mais on peut “normaliser” en cas de fortes variations) [3% – 10%].
- Chiffre d’affaires (utile si le bénéfice est trop instable ou faible) [0.5% – 3%].
- Total des actifs (pertinent pour les sociétés de placement ou fonds) [1% – 2%].
- Actif net (utile pour les start-ups ou sociétés en développement) [2% – 5%].
Une fois le référentiel choisi, on applique un pourcentage.
En résumé :
La matérialité est le seuil à partir duquel une erreur devient importante pour les décisions des utilisateurs des états financiers. En audit, on la fixe globalement. Pour certains postes spécifiques, et on détermine aussi un seuil d’erreurs négligeables. C’est un outil central qui influence toute la stratégie d’audit, depuis la planification jusqu’à l’opinion finale.
6. Matérialité globale (OM) – précisions
OM = seuil de matérialité pour les comptes annuels dans leur ensemble.
Si la période couverte par les états financiers n’est pas de 12 mois (nouvelle société, changement d’exercice…), l’OM se calcule sur cette période spécifique.
Le critère de référence choisi (ex. bénéfice avant impôt, chiffre d’affaires) doit en principe rester le même d’une année à l’autre, sauf changement majeur de contexte.
Exemple :
- Entité A : activité stable, peu de parties prenantes → matérialité basée sur le chiffre d’affaires (375 000 €).
- Entité B : en préparation d’une introduction en bourse, plus de parties prenantes → matérialité basée sur le bénéfice (75 000 €, soit 5 % des bénéfices, côté prudent).
7. Quand fixer l’OM ?
Parfois avant la préparation des états financiers (sur la base de prévisions ou d’états intermédiaires).
Parfois après, mais en tenant compte des événements importants attendus (fusions, changements économiques…).
- L’OM est réévaluée une fois les chiffres réels connus.
8. Matérialité spécifique pour une rubrique des comptes annuels
Utilisée pour certains postes ou informations sensibles où une erreur, même inférieure à l’OM, peut influencer les décisions des utilisateurs.
On fixe alors un seuil spécifique plus bas que l’OM.
Situations typiques :
- Respect d’un engagement contractuel sensible (ex. ratio de liquidité).
- Exigences légales ou réglementaires particulières (ex. rémunération de la direction, transactions liées).
- Demande explicite du client d’examiner un solde.
- Postes stratégiques pour le secteur (ex. R&D dans la pharma).
- Informations séparées dans les états financiers (segments, acquisitions).
- Cas où le compte de résultat est peu significatif mais les actifs sont importants (immobilier).
Règles :
- Si une erreur dépasse le seuil spécifique → ajustement ou impact sur l’opinion d’audit.
- Si elle est en dessous → elle est notée et cumulée avec d’autres erreurs du même poste pour évaluation finale.
9. Matérialité de la performance / d’exécution (PM)
- PM = seuil inférieur à l’OM, fixé pour réduire le risque que les erreurs non corrigées ou non détectées dépassent l’OM. Reflète le risque de non détection => marge de sécurité.
- Sert à :
- Identifier les risques d’anomalies significatives.
- Déterminer la taille des échantillons.
- Fixer les seuils d’investigation.
Points clés :
- PM généralement fixée entre 50 % (client avec risque élevé) et 75 % de l’OM.
- Plus le risque est élevé → plus le pourcentage est bas (ISA 320.11).
- En audit initial, PM souvent plus prudente (plus basse), car connaissance limitée du client.
- La PM peut être révisée en cours de mission si de nouveaux risques apparaissent.
En résumé :
- OM = seuil principal pour l’ensemble des comptes annuels.
- Matérialité spécifique = seuil réduit pour des postes sensibles.
- PM = seuil opérationnel plus bas pour guider les tests et limiter le risque d’erreurs globales au-dessus de l’OM.
10. Seuil de différence d’Audit (Summury of Audit Difference) (SAD) (ISA 450.5)
- Définition :
Montant tellement petit qu’il est inutile de cumuler ces erreurs dans l’évaluation finale.
-> Ce n’est pas la même chose que « non significatif » : c’est bien en dessous, d’un ordre de grandeur très inférieur à l’OM ou à la PM. - Critères :
- Montant sans conséquence même cumulée avec d’autres.
- Montant qui ne pourrait pas influencer les décisions des utilisateurs.
- Si incertitude → on considère par défaut que ce n’est pas trivial.
- Plage courante :
Généralement 5 % de l’OM.
Dépasser 5 % = rare et nécessite une justification. - Différence avec les attentes de la direction :
Le SAD peut être différent du seuil au-delà duquel le client veut qu’on lui signale des erreurs. - Le SAD sert uniquement à fixer le seuil à partir duquel nous cumulons les anomalies (pas d’effet sur les périmètres de travail).
11. Révision de la matérialité en cours d’audit
- Pourquoi réviser ?
Les événements ou changements de contexte peuvent rendre la matérialité initiale inadaptée. - Exemples de déclencheurs :
- Changement de lois ou normes comptables affectant les attentes des investisseurs.
- Signature de contrats majeurs attirant l’attention sur un poste particulier.
- Étapes :
- Réviser OM et/ou matérialité spécifique.
- Ajuster PM si nécessaire.
- Réévaluer la nature, le calendrier et l’étendue des procédures.


